À Villeurbanne, les fourchettes solidaires se mobilisent pour les familles à la rue

Article paru dans l’Humanité Dimanche le 9 avril 2022. Lien vers l’article orgininal : https://www.humanite.fr/vie-quotidienne/solidarite/villeurbanne-les-fourchettes-solidaires-se-mobilise-pour-les-familles-la-rue-745081

Ce jour-là, une quinzaine de bénévoles s’est donné rendez-vous pour préparer des repas. © Emmanuel Foudrot
Ce jour-là, une quinzaine de bénévoles s’est donné rendez-vous pour préparer des repas. © Emmanuel Foudrot

“Des associations villeurbannaises se mobilisent pour organiser des cantines populaires dont les recettes servent à mener des actions sociales d’urgence. Fin mars, l’édition des Fourchettes solidaires a permis de financer des nuits d’hôtel pour une famille sans abri. Ce jour-là, une quinzaine de bénévoles s’est donné rendez-vous pour préparer des repas.

Au milieu des effluves d’oignons et de poivrons qui mijotent dans une énorme casserole sous l’œil expert de Taous, 62 ans et bénévole à l’association Monod Solidaire, une quinzaine de militants s’activent à couper, éplucher, mélanger dans les locaux de l’Île égalité.

Situé dans le quartier de Cusset, à Villeurbanne, cet ancien atelier de cordonnerie laissé à l’abandon a été réquisitionné par le collectif Solidarités Cusset en novembre 2020. Entre des fresques de dinosaures – traces d’une précédente occupation –, un graff « Liberté » surplombe des peintures murales de personnages réclamant un logement pour tous et toutes et la régularisation de tous les sans-papiers, des flyers appelant au boycott d’Israël jouxtent des dessins d’enfants.

« Des épiceries gratuites»

« On était en plein confinement, la plupart des associations avaient suspendu leurs activités, notamment la distribution alimentaire.  L’idée, en réquisitionnant cet immeuble, c’était à la fois de loger des gens – une dizaine de personnes sont hébergées ici – mais surtout d’avoir un lieu pour organiser des initiatives comme des épiceries gratuites », explique Frédéric, 27 ans, membre du collectif Solidarités Cusset.

Après plusieurs mois de bras de fer avec la fondation propriétaire du terrain, les défenseurs de l’Île égalité ont obtenu de la municipalité de Villeurbanne qu’elle préempte le terrain, laissant au collectif Solidarités Cusset un peu de répit face à la menace d’expulsion. « On est en train d’essayer de négocier une convention avec la mairie pour pérenniser vraiment notre action », précise Frédéric.

Un squat pas comme les autres

En attendant, ces militants sont parvenus à développer de nombreuses activités et à s’inscrire dans le paysage associatif local, donnant une légitimité particulière à ce squat pas comme les autres. Rayonnant bien au-delà du strict milieu anarchiste – même si l’autogestion reste la règle ici –, l’Île égalité draine habitants du quartier, bénévoles du centre social, associations locales comme Entraidons-nous et l’association Monod Solidaire parmi de nombreux autres adeptes. Des cours de français langue étrangère aux permanences d’aide administrative en passant par des ateliers d’autodéfense féministe, une laverie gratuite, des projections, des activités pour enfants, des soirées de soutien aux salariés en lutte comme les livreurs à vélo ou les General Electric, les initiatives sont multiples mais toujours à vocation sociale et politique.

Un réseau de parents et d’enseignants

Ce dimanche-là, c’est salade, pizza et crumble au menu des Fourchettes solidaires, une cantine populaire dont la recette sera reversée ce jour-là au collectif Renan sans toit, composé de parents et d’enseignants de l’école voisine pour héberger des familles sans abri. Pendant que la pâte à pizza lève, Dan, administrateur du centre social voisin, Mustapha, primo-arrivant marocain, et Adrien, membre fondateur du collectif Solidarités Cusset, s’affairent à détailler pommes et bananes pour le dessert. « C’est la troisième fois que je viens ici », explique Mustapha, 27 ans, qui a connu l’Île égalité en prenant des cours de français.

Un ancien atelier de cordonnerie que le collectif d’associations a réquisitionné, et où il œuvre à différentes actions, est devenu un haut lieu de la vie locale. © Emmanuel Foudrot
Un ancien atelier de cordonnerie que le collectif d’associations a réquisitionné, et où il œuvre à différentes actions, est devenu un haut lieu de la vie locale. © Emmanuel Foudrot

« Faire de la politique d’une autre manière »

Pour Adrien, ces actions très concrètes sont l’occasion de « faire de la politique d’une autre manière ». « On mène aussi bien des actions de solidarité immédiate comme celle-ci que des initiatives de soutien à un ensemble de luttes anticapitalistes, féministes, antiracistes… en mettant nos locaux à disposition », explique Adrien.

Aya Nakamura dans la sono, on achève les derniers préparatifs en dansant pendant que certains commencent à sortir tables et chaises devant le local. Safia, elle aussi administratrice au centre social, fait revenir des tranches d’aubergine accroupie devant un réchaud pendant que son fils de 7 ans joue avec d’autres enfants dans un coin jeux spécialement aménagé. « On va jouer à l’école ! » propose Kyllian, 12 ans, en écrivant à la craie sur un tableau noir improvisé. « C’est souvent un problème pour pouvoir assister à des initiatives militantes quand on a des enfants dans le milieu alternatif. Ici, je peux venir avec eux, ils ont une place », apprécie Safia.

Financer des nuits d’hôtel

Vers midi et demi, c’est l’heure de faire les pizzas : Norbert, pizzaiolo pendant trois ans et maintenant retraité, décide de former Mustapha à l’art délicat de l’étalage de pâte et de l’enfournage dans l’authentique four à pizza qui trône, imposant, à côté des sacs de frappe destinés aux sports de combat dans l’ex-salle des machines de l’atelier de cordonnerie. « T’as le coup de main ! T’es un pizzaiolo dans l’âme ! » se réjouit Norbert, alors que les dizaines de personnes qui arrivent se délectent des premières parts. Au final, ce repas solidaire aura permis à Renan sans toit de récolter environ 200 euros, de quoi financer un week-end de nuits d’hôtel à la famille que le collectif héberge la semaine à l’école voisine.

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